Vingt ans après la crise d'Oka, l'injustice continue/Twenty Years after the Oka Crisis, Injustice Continues
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Le 11 juillet 1990, la Sûreté du Québec, répondant à une injonction réclamée par le maire d'Oka, Jean Ouellette, envahit la petite communauté mohawk de Kanehsatake. Quatre mois plus tôt, une vigile pacifique avait débuté pour protester contre le projet de la ville d'Oka d'agrandir son terrain de golf et construire un terrain de stationnement sur le territoire traditionnel de la communauté, menaçant sa Pinède ancestrale et son cimetière. La tension n'avait cessé de monter depuis, ce qui avait convaincu les Mohawks de fermer une route secondaire traversant la Pinède.
À cinq heures le matin du 11, la SQ passe à l'attaque, entraînant la riposte d'Autochtones armés. Un membre de l'Unité d'intervention (SWAT) de la SQ, Marcel Lemay, est touché mortellement. Les policiers se replient dans le désordre. Des barricades sont érigées sur la route 344. En guise de solidarité, des Mohawks de Kahnawake bloquent le pont Mercier. C'est le début de ce qu'on a appelé la crise d'Oka. Elle durera 78 jours, ébranlant non seulement le Québec, mais le Canada tout entier.
Malgré les belles paroles prononcées par les gouvernements au terme de cette crise, rien n'a pourtant réellement changé pour les Autochtones et encore moins pour les Mohawks de Kanehsatake où les causes mêmes de la crise demeurent entières.
Un territoire constamment sous la menace
L'actualité s'est récemment chargée de nous le rappeler. Au début de juin 2010, un promoteur montréalais, Normand Ducharme, annonçait son intention de faire appel à la Sûreté du Québec pour permettre la réalisation d'un projet immobilier le long de la route 344, sur une terre située juste en face de la Pinède de Kanehsatake. En janvier dernier, des Mohawks avaient dû protester pour convaincre le promoteur de renoncer à son intention de procéder au déboisement du terrain.
Un autre projet très controversé pourrait prochainement recevoir l'aval du gouvernement du Québec. Il s'agit du projet de mine de la compagnie Niocan. Celle-ci veut exploiter un gisement de niobium (élément aux propriétés radioactives) à Oka, sur le territoire de la Seigneurie des Deux Montagnes que les Mohawks considère leur depuis plus de 290 ans. De surcroît, la compagnie n'a jamais pu démontrer hors de tout doute qu'aucun effet néfaste n'affecterait la région et notamment qu'elle ne contaminerait pas le sol et les sources d'eau potable utilisées par plusieurs Mohawks.
Les espoirs déçus
La formation en 1991 de la Commission royale sur les peuples autochtones, aussi baptisée Commission Erasmus-Dussault, pouvait laisser espérer que le gouvernement fédéral avait tiré les leçons de la crise d'Oka et qu'il était prêt à des changements de fond dans ses relations avec les Autochtones. La publication, cinq ans plus tard, d'un rapport de 4000 pages, contenant plus de 400 recommandations, a également soulevé bien des espoirs qui, pour la très grande majorité, ont été amèrement déçues. Non seulement la situation des Autochtones ne s'est-elle pas vraiment améliorée, mais l'attitude du gouvernement s'est durcie, depuis l'arrivée au pouvoir du Parti conservateur de Stephen Harper.
La meilleure illustration en est le refus par le gouvernement canadien de ratifier la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des peuples autochtones. En septembre 2007, le Canada a été un des quatre pays, avec les États-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, à s'opposer à son adoption par l'Assemblée générale de l'ONU. Pas moins de 143 pays l'ont pourtant appuyée. Dans son Discours du Trône de mars 2010, le gouvernement Harper a annoncé son intention de finalement ratifier la Déclaration, comme l'ont déjà fait l'Australie et plus récemment la Nouvelle-Zélande, mais « dans le respect intégral de la Constitution et des lois du Canada ». Bref, le Canada est bien prêt à adopter la Déclaration universelle, à condition qu'elle ne le contraigne à aucun changement de fond dans ses politiques.
Même chose au Québec où le gouvernement Charest s'est montré prêt à adopter une motion demandant au gouvernement fédéral de ratifier la Déclaration... mais uniquement aux conditions posées par Ottawa!
La solidarité toujours nécessaire
Le 12 juillet 1990, au lendemain même de l'attaque de la Sûreté du Québec contre Kanehsatake, une ligne de piquetage était organisée devant le quartier général de la SQ sur la rue Parthenais à Montréal. C'était la naissance du Regroupement de solidarité avec les Autochtones qui, sur une base quotidienne, a organisé des manifestations tout au long de l'été 1990.
Cette solidarité active, « dans la rue », a permis à des milliers de personnes, de tous âges et de toutes origines, de s'opposer aux gestes de leurs propres gouvernements et de faire entendre un contre-discours. Malgré le silence frileux de la grande majorité des intellectuels et des artistes du Québec, plusieurs personnalités en vue ont exprimé leur solidarité avec les Mohawks lors d'événements organisés par le Regroupement. C'est notamment le cas du syndicaliste Michel Chartrand, récemment décédé, des militantes syndicales et féministes, Madeleine Parent et Léa Roback, de l'écrivain et militant, Pierre Vallières, de l'anthropologue Rémi Savard, du chanteur Richard Desjardins, du cinéaste Arthur Lamothe et du sculpteur Armand Vaillancourt.
Cette solidarité a continué à se manifester, une fois la crise terminée. Des liens plus étroits se sont tissés non seulement avec les Mohawks, mais aussi avec des membres d'autres nations autochtones. Des manifestations, des lignes de piquetage, des occupations de bureaux, des conférences ont été organisées en appui aux Mohawks aux prises avec la répression policière et judiciaire, mais aussi à plusieurs autres causes : luttes des Cris et des Innus contre les projets hydro-électriques Grande-Baleine et SM-3; résistance des Anishnabe du Lac Barrière contre les coupes à blanc sur leur territoire; appui aux Cris du Lac Lubicon, en Alberta, aux prises avec le géant forestier Lubicon, etc.
Même si le Regroupement de solidarité a interrompu ses activités, il y a une dizaine d'années, d'autres groupes se sont formés, d'autres initiatives ont été prises, d'autres combats ont été appuyés.
C'est parce qu'il considère que cette solidarité est toujours aussi nécessaire, qu'un groupe de militants et de militantes du Regroupement de solidarité avec les Autochtones a décidé de lui redonner vie, au moins pour le vingtième anniversaire de la résistance des Mohawks et en particulier pour la marche pacifique qui se déroulera à Kanehsatake et Oka, le dimanche 11 juillet. Nous vous invitons à vous joindre à cet événement pour réclamer justice pour les Mohawks et l'ensemble des peuples autochtones.
Twenty Years after the Oka Crisis, Injustice Continues
On July 11, 1990, in response to an injunction obtained by Oka mayor Jean Ouellette, the Sûreté du Québec invaded the small Mohawk community of Kanehsatake. Four months earlier, the Mohawks had begun a peaceful vigil to protest against Oka municipality's plan to enlarge its golf course and build a parking lot on the community's traditional territory. The project threatened the community's ancestral pine grove and burial ground. Tensions had continued to rise, leading the Mohawks to close a secondary road through the pine forest.
The SQ's attack at 5 AM on the morning on the 11th provoked the response of armed Native people. A member of the SQ's SWAT team, Marcel Lemay, was mortally wounded. Police officers retreated in disorder, and barricades were erected on Route 344. To show their solidarity, Kahnawake Mohawks blocked the Mercier bridge. This was the beginning of what came to be known as the Oka crisis. It lasted 78 days and affected not only Québec, but all of Canada.
Despite fine words from governments once the crisis was over, nothing has really changed for Native people, and things have changed even less for the Mohawks of Kanehsatake where the causes of the crisis are still exactly what they were.
A Constantly Threatened Territory
Recent news items have brought this home. In early June 2010 a Montreal developer, Normand Ducharme, announced his intention of calling on the Sûreté du Québec to enable him to realize a development project along Route 344, on a piece of land located just across from the Kanehsatake pine forest. Last January, Mohawks had had to protest to convince the developer to renounce his intention of clearing the land.
In the near future, the Quebec government may also approve another highly controversial project put forward by a mining company called Niocan. The company wants to exploit a deposit of niobium (an element with radioactive properties) in Oka, on the territory of the Seigneurie des Deux Montagnes that Mohawks have viewed as theirs for over 290 years. Niocan has never been able to demonstrate beyond doubt that there would be no harmful effect on the surrounding area, and in particular, that it would not contaminate the ground and sources of drinking water used by a number of Mohawks.
Disappointed Hopes
When the federal government established the Royal Commission on Aboriginal Peoples - also known as the Erasmus-Dussault Commission - in 1991, there was reason to hope that it had learned the lessons of the Oka crisis and that it was ready to make some fundamental changes in its relations with Native peoples. Five years later, the publication of a 4,000-page report containing over 400 recommendations also raised many hopes which have led, in almost every case, to bitter disappointment. Not only has the situation of Native people not really improved, but the government's attitude has hardened since the election of Stephen Harper's Conservative Party.
The best illustration of this is the Canadian government's refusal to ratify the United Nations Declaration on the Rights of Indigenous Peoples. In September 2007, Canada was one of four countries - with the United States, Australia and New Zealand - to oppose its adoption by the UN General Assembly. The Declaration is supported by no fewer than 143 countries. In its March 2010 Speech from the Throne, the Harper government finally announced its intention of endorsing the Declaration (as Australia and recently New Zealand have already done), but only "in a manner fully consistent with Canada's Constitution and laws". This means that Canada is prepared to ratify the Universal Declaration as long as it does not require any real change of policy.
The same thing is happening in Québec where the Charest government has said it was willing to adopt a resolution asking the federal government to ratify the Declaration... but only according to the conditions stated by Ottawa!
Solidarity Is Still Needed
On July 12, 1990, the day after the Sûreté du Québec's attack on Kanehsatake, a picket line was organized in front of SQ headquarters on Parthenais Street in Montreal. This was the birth of the Regroupement de solidarité avec les Autochtones, which organized demonstrations on a daily basis throughout the summer of 1990.
This active solidarity, in the street, made it possible for thousands of people of all ages and origins to protest against the actions taken by their own governments and to provide an alternative discourse. Despite the fainthearted silence of the great majority of Quebec intellectuals and artists, a number of leading personalities showed their solidarity with the Mohawks at events organized by the Regroupement. Among them were labour union activist Michel Chartrand (recently deceased), labour and feminist activists Madeleine Parent and Léa Roback, writer and activist Pierre Vallières, anthropologist Rémi Savard, singer Richard Desjardins, filmmaker Arthur Lamothe and sculptor Armand Vaillancourt.
People continued to show solidarity after the crisis was over. Closer ties were created not only with the Mohawks, but also with members of other indigenous nations. Demonstrations, picket lines and public talks were organized, and offices were occupied, to support Mohawks facing repression from the police and the judicial system, and to support other causes as well: the struggles of the Cree and Innu nations against the Grande-Baleine and SM-3 hydro-electric projects; the resistance of the Anishnabe of Lake Barrière against clearcutting on their territory; the struggle of the Cree of Lake Lubicon, in Alberta, against the giant Lubicon forestry company.
Although the Regroupement de solidarité ceased its activities about ten years ago, other groups have appeared, and other actions have been taken in support of other struggles.
A group of activists from the Regroupement de solidarité avec les Autochtones is convinced that solidarity is still needed today. As a result, they have decided to bring the Regroupement back to life, at least to mark the twentieth anniversary of the Mohawks' resistance, and in particular for the peaceful march to be held at Kanehsatake and Oka on Sunday, July 11. We urge you to join the march and demand justice for the Mohawks and all Native peoples.